samedi 12 mars : Ceci n’est pas un film
27 janvier 2016
Ceci n’est pas un film (2011)
de Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb
Jafar Panahi : Six ans de prison, vingt ans d’interdiction d’exercer le métier de réalisateur et de quitter le territoire. La sentence est tombée en décembre 2010 : la République islamique d’Iran prononçait la mort artistique de Jafar Panahi (Le Ballon blanc, Le Cercle). De cette condamnation à l’impuissance, le cinéaste a fait un film (1), réalisé avec l’aide d’un ami, le documentariste Mojtaba Mirtahmasb – lui-même empêché de quitter Téhéran au début du mois alors qu’il s’apprêtait à venir en Europe. Ceci n’est pas un film nous fait partager son isolement le temps d’une journée.
Dans son appartement de Téhéran, Panahi attend des nouvelles de son sort (sa condamnation sera-t-elle confirmée en appel ?), se prépare un énième thé et tente de se connecter aux rares sites Internet tolérés par le régime. Il erre de la cuisine au salon, du téléphone à l’ordinateur. Escaladant le canapé puis la bibliothèque, l’iguane de sa fille tourne en rond lui aussi, métaphore d’un temps stagnant.
Au-dehors, des rafales éclatent : coups de feu, pétards ? Panahi ne réagit pas, trop occupé par sa nouvelle idée : mettre en scène, devant la caméra de son ami Mojtaba, le scénario d’un nouveau film. Le voilà soudain redevenu créateur. Quand le doute l’assaille, son complice lui rappelle l’essentiel : « Continuons ! L’important, c’est que les caméras restent allumées. » Le geste de tourner devient à lui seul un acte de résistance.
Pas de doute : ceci est bel et bien un film. Avec de purs moments de cinéma. Dehors, la fête du feu bat son plein. Téhéran s’embrase et s’illumine. Caméra au poing, Panahi doit s’arrêter au seuil de la grille de son immeuble : quelqu’un pourrait le voir filmer. Le régime des mollahs est prévenu : dédié à tous les cinéastes iraniens, ce film prouve que si la contrainte formelle donne des ailes aux artistes, la censure politique peut les rendre géniaux.
(1) Projeté lors du dernier festival de Cannes, le film avait passé la frontière iranienne dissimulé dans une clé USB.
Mathilde Blottière